Faux Maîtres Ninjutsu, Vrai Ego : le piège des réseaux sociaux et de l’IA
À l’ère des réseaux sociaux et de l’intelligence artificielle, les illusions du savoir se multiplient. Cet article explore les causes et les dangers de la montée des “faux maîtres” en Ninjutsu, arts martiaux et coaching bien-être, et rappelle les fondements d’un enseignement authentique, enraciné dans la voie traditionnelle.
Introduction
「知る者は語らず、語る者は知らず。」— Celui qui sait ne parle pas, celui qui parle ne sait pas.
« La connaissance, c’est comme la confiture : moins on en a, plus on l’étale. »
À travers les réseaux sociaux, chacun peut se présenter comme expert, sensei ou maître spirituel. Quelques vidéos séduisantes, un décor apaisant et des mots bien choisis suffisent à créer l’illusion d’une autorité. L’intelligence artificielle amplifie cette illusion : textes, images, slogans ou postures inspirantes peuvent désormais être générés sans expérience réelle, sans discipline, sans profondeur vécue.
Depuis Kyoto, en tant qu’instructeur formé à la tradition du Togakure Ryū Ninpō, j’observe cette dérive avec lucidité. Le Ninjutsu n’est pas une esthétique ou un effet de mode, mais une voie d’étude du corps et de l’esprit. L’ego cherche à se montrer ; la voie (Dō) enseigne à s’effacer. Mon intention ici n’est pas de juger, mais de rappeler l’importance de la sincérité et de la cohérence dans la pratique.
Cet article expose : 1) comment s’installe l’illusion digitale, 2) quelles en sont les causes profondes, 3) les dangers physiques et moraux de ces dérives, 4) les repères d’un enseignement authentique, et 5) le retour nécessaire à la pratique, au silence et à la vérité intérieure.
I. L’ère de l’illusion digitale : quand l’image remplace l’expérience
1. La vitrine des ego
Les plateformes sociales récompensent la visibilité plus que la véracité. Une belle mise en scène, des postures spectaculaires, un discours fluide suffisent à simuler la maîtrise. Le like remplace le rei (礼) — le salut, le respect — et l’algorithme devient l’arbitre de la légitimité. L’on confond alors popularité et compétence, influence et transmission.
- Signal trompeur : les abonnés et vues ne prouvent rien.
- Angle mort : la caméra ne montre ni la sueur, ni la répétition, ni les années de silence.
- Conséquence : l’élève confond l’apparence de la fluidité avec la véritable maîtrise.
2. Le “coaching minute” et le divertissement spirituel
Le culte de la rapidité a donné naissance à une industrie du “développement personnel express”. Formations “éveil en 7 jours”, certifications “maître enseignant en un week-end”… même sincères, ces démarches oublient que le corps et l’esprit ne se hâtent pas. On ne télécharge pas une posture juste : on la mûrit par la répétition consciente.
L’intelligence artificielle offre des contenus impeccables, mais sans âme : elle ne peut pas corriger un élève, ajuster un souffle, ni transmettre l’énergie du cœur. Elle imite le geste, sans ressentir la vibration. L’outil n’est pas mauvais, mais il devient dangereux quand il se substitue au lien vivant entre maître et élève.
3. Le cas du Ninjutsu : de l’icône au cliché
Dans l’imaginaire collectif, le ninja est une ombre noire, rapide et spectaculaire. Mais le Ninpō n’a rien d’un divertissement : c’est un art de la conscience, une manière d’habiter chaque instant avec lucidité. Réduire le Ninjutsu à un costume ou à des acrobaties, c’est le trahir.
« On ne devient pas ninja par l’image, mais par la sueur, le silence et la persévérance. » — Jérôme Pailliette
II. Les causes de la dérive : reconnaissance immédiate et marchandisation du sacré
1. L’ego qui craint l’effacement
Dans un monde obsédé par la visibilité, l’ego redoute l’invisibilité. C’est cette peur de disparaître qui pousse tant d’individus à s’autoproclamer maîtres. La tradition, elle, enseigne l’inverse : plus on avance sur la voie, plus on devient humble. L’ego (我, ga) obscurcit la lumière intérieure (光, hikari) quand il cherche à briller.
2. La société de l’instant et le refus de la lenteur
Le shugyō (修行) — la pratique ascétique — demande du temps, de la régularité, de l’humilité. Or notre époque valorise le “tout, tout de suite”. Le résultat : des pratiquants sans racines, qui imitent la forme sans comprendre l’esprit. On saute les étapes, on perd la structure, on s’épuise.
- Apprentissage réel : progression graduelle, rigueur, patience, écoute du corps.
- Apprentissage illusoire : imitation d’images, consommation de contenu, absence de fondement.
3. La technologie comme miroir déformant
L’IA et les outils numériques créent un réalisme trompeur : un geste filmé avec fluidité ne prouve pas la maîtrise du taijutsu. La technologie reproduit la forme, mais ne transmet pas la présence.
« La technologie peut reproduire la forme du sabre, mais elle ne transmettra jamais la vibration de la main qui le tient. » — Jérôme Pailliette
4. « Fais ce que je dis, pas ce que je fais » : l’hypocrisie moderne
On voit de plus en plus de coachs de yoga, de fitness ou même d’arts martiaux prêcher la discipline, la respiration, la maîtrise — alors qu’ils incarnent l’inverse. Il ne s’agit pas ici de juger l’apparence physique, mais de souligner une incohérence entre le discours et la pratique réelle. Le maître doit être le miroir de sa parole.
En japonais, on dit : 指導とは身をもって教えること (Shidō to wa, mi o motte oshieru koto) — “Guider, c’est enseigner par son propre corps.” Si l’enseignant ne pratique plus, son enseignement devient verbe vide. La parole doit être soutenue par l’exemple, car le corps ne ment jamais.
5. Les pseudo-maîtres immobiles et leurs élèves complices
Certains pseudo-maîtres, incapables de se mouvoir, conservent pourtant leur aura grâce à des mises en scène où des élèves “jouent” la chute ou la soumission. Ces démonstrations, souvent filmées et diffusées, entretiennent la légende d’une puissance invisible. C’est une forme subtile de mensonge collectif : un théâtre de l’ego.
Le véritable keiko (稽古) — “réfléchir à l’ancien pour comprendre le présent” — exige sincérité et présence. Dans la tradition japonaise, on parle d’unité Shin–Gi–Tai (心技体) : esprit, technique, corps. Si l’un manque, les deux autres s’effondrent.
« Un enseignant qui ne pratique plus cesse d’enseigner, même s’il continue de parler. » — Jérôme Pailliette
Ressource : Pour un enseignement enraciné et vivant : NinjutsuKyoto.com — Dojo et entraînements authentiques à Kyoto.